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Chroniques des livres de Brigitte Baumié & Patrick Dubost
Grâce à la dernière livraison de la revue en ligne La Cause littéraire, Philippe Chauché fait deux belles critiques des deux premiers titres parus dans la collection La feuille et le fusil aux éditions la Boucherie littéraire. Ainsi, Patrick Dubost et ses 13 poèmes taillés dans la pierre et Brigitte Baumié pour ses paysages intermittents sont à la Une des livres de mars.
Merci à vous cher Philippe Chauché et à la rédaction de La Cause littéraire.2 livres à la Boucherie Littéraire, par Philippe Chauché
13 poèmes taillés dans la pierre, Patrick Dubost, La Boucherie Littéraire, 2016, 38 pages
paysages intermittents, Brigitte Baumié, La Boucherie Littéraire, 2016, 116 pages
« On dit “on” comme on écrit / sur le dos rond d’un moine / on se dit que le silence est rond aussi / on taille un arbre / on taille un arbre à la mesure du silence / on admet quelques oiseaux / on attribue un bruit pour chaque oiseau / chaque seconde / mais sans toucher au silence / on ajoute un graffiti parmi ceux de toujours / on affirme que “tout fait poème” / on prend ses désirs pour des réalités / on existe bien sûr encore un peu / mais très peu / très très peu / on est presque plus rien / comme un bruit / un souffle suspendu dans un parfait silence », 13 poèmes taillés dans la pierre, Patrick Dubost
13 poèmes taillés dans la pierre ont cette force tellurique, qui vient de la pierre – l’écrivain devient tailleur de texte : phrases gravées dans « la pierre blanche et crayeuse du langage », phrases infinies qui épousent les obliques, les angles, les triangles de la Chartreuse Notre-Dame-des-Près de Neuville-sous-Montreuil où elles ont été façonnées et polies par Patrick Dubost. L’art rare de l’écrivain s’écoute et se voit, ses textes, ses poèmes, ses phrases, ses mots, résonnent entre les pierres, ils ont la même patine.
« On sait que peu de mots tombés dans un lieu silencieux… »
Ces 13 poèmes taillés dans la pierre se nourrissent de résonnances et d’échos – on avance avec trois mots à la ceinture –, on les imagine tracés à la craie blanche sur les pierres du monastère, en souvenir de l’imprimerie des chartreux, des architectes qui l’ont dessiné et fait s’élever, dans le silence et le doute. Ecrire pour douter, écrire le temps qui se glisse lui aussi entre les colonnes du cloître, dans la lumière qui « parle un peu comme l’on parle en écrivant… ». Ecrire suspendu à son corps tendu vers la lumière – à l’orée d’un monde ciselé par les vents et les siècles –, attentif à – cette chouette au regard scientifique – et à l’ordonnancement des mots et des phrases. Ces poèmes se bâtissent pierre à pierre dans les angles romanesques de la Chartreuse.
« Par la fenêtre, elle regarde les arbres défiler / le nom des arbres / ou plutôt / faire le lien entre les visages des arbres et / leurs noms…
Bouleau, chêne, hêtre, mélèze, orne et frêne / se mélangent les branches et les radicelles », paysages intermittents, Brigitte Baumié.
Comme un film qui passerait au ralenti, oubliant les 24 images par seconde, le livre de Brigitte Baumié défile sous nos yeux à la vitesse d’un regard qui se pose et qui se repose. L’enfance, la rêverie, le présent, des paysages – Enlacement des lignes du temps –, ailleurs, elle, voilà les axes autour desquels tournent au ralenti ces Paysages imaginaires – Des visages défilent. Des milliers de visages assis sur le bord. La force du livre est d’ouvrir des brèches de fictions et de frictions dans le défilement du livre – un arrêt sur un mot, comme on le dit sur une image. Brigitte Baumié saisit la joie et l’effroi de l’enfance, où rien n’est important sauf les fantômes – Quand il vient à la maison, il faut le surveiller en permanence parce que c’est sûr qu’un jour ou l’autre il cherchera à nous empoissonner –, elle saisit le Présent qui se compose et se décompose sous ses yeux – Il pleut à rayure. Sur la vitre la vitesse dessine une musique entendue il y a très longtemps –, et se glisse dans l’ailleurs – Dérive infinie. C’est à chaque ligne passionnant : éclats de fictions, et d’événements, éclairs de vie(s) et louanges des instants. L’auteur voyage, comme dans un Tour du Livre en 80 mondes.
Une nouvelle fois, Antoine Gallardo prouve qu’être éditeur c’est non seulement choisir avec justesse et attention ses auteurs, mais aussi, et ces deux livres, 13 poèmes taillés dans la pierre et paysages intermittents, en sont la preuve lumineuse, choisir son imprimeur – Yenoa –, avec en tête ses papiers – Fedrigoni ici – et le corps des textes – Minion 12 et 10,5 –, ses couvertures, son foulage pour le livre de Patrick Dubost, avec le chiffre 13, qui s’inscrit en creux dans corps de la couverture. Tout un art d’artisan façonné pour quelques amateurs, les tirages restent limités entre 500 et 800 exemplaires.
Philippe Chauché
Patrick Dubost écrit et compose, liant parfois ses poèmes à des dispositifs sonores, de la feuille à la page, il n’y a qu’un pas de côté, qu’il ne craint de sauter, on lui doit notamment : Juste au mot (Les Lieux Dits), Tombeaux perdus (La Rumeur Libre), ou encore Ego Non Sum Sed Vos Amo (Color Gang).
13 poèmes taillés dans la pierre, Patrick Dubost, Collection La feuille et le fusil,
éditions la Boucherie, 38 pages, juillet 2016, 13 euros.
Brigitte Baumié a passé vingt ans au cœur de la musique avant de perdre l’audition, et s’est alors tournée vers l’écriture et la langue des signes. Elle a dirigé une anthologie de poésie bilingue français-langue des signes, Les mains fertiles, Editions Bruno Doucey, livre/DVD, on lui doit aussi Pour le reflet d’un oiseau et Etats de neige, Color Gang.
paysages intermittents, Brigitte Baumié, Collection La feuille et le fusil,
éditions la Boucherie littéraire, 116 pages, décembre 2016, 18 euros.
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